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Pour que les pêcheurs locaux soient compétitifs, les dirigeants africains doivent inciter les membres de l’OMC à mettre fin aux subventions néfastes

De nombreux gouvernements financent leurs flottes de pêche lointaine, ce qui nuit à la pêche dans l’ensemble de la région.

Les eaux de Mauritanie sont riches en biodiversité : plus de 600 espèces de poissons vivent dans les eaux territoriales de ce pays d’Afrique du Nord-Ouest. Le secteur de la pêche emploie 180 400 personnes et représente 10 % du produit intérieur brut du pays, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.

Cette richesse en ressources marines attire également les flottes de pêche étrangères sur les côtes mauritaniennes.

Ces navires bénéficient souvent de subventions gouvernementales néfastes qui couvrent leurs dépenses en carburant, entre autres, réduisant artificiellement les coûts d’exploitation. Certaines flottes peuvent ainsi aller pêcher dans des zones où leur activité ne serait pas rentable autrement.

En 2018, 135 navires étrangers, principalement d’Asie et d’Europe, ont traversé les mers pour pêcher dans les eaux de la Mauritanie, dans sa zone économique exclusive (ZEE), selon un nouvel outil d’analyse créé par des scientifiques de l’Université de Californie à Santa Barbara (UCSB), et financé par The Pew Charitable Trusts. Ce type de pêche lointaine n’est possible que grâce aux subventions gouvernementales dont ces flottes bénéficient.

Des chercheurs de l’université de la Colombie-Britannique estiment que les gouvernements du monde entier dépensent chaque année 22 milliards de dollars en subventions à la pêche néfastes, dont près des deux tiers proviennent d’un groupe de six pays et de l’Union européenne. D’après l’outil de l’UCSB, environ un tiers (soit 7,2 milliards de dollars) de ces subventions soutient les activités de pêche lointaine.

Vingt-neuf pays, à commencer par l’Espagne, la Chine, l’Indonésie et le Japon, qui représentent ensemble 83 % des subventions gouvernementales versées aux flottes étrangères opérant dans les eaux mauritaniennes, ont dépensé près de 110,5 millions de dollars pour subventionner la pêche dans la ZEE mauritanienne en 2018, évinçant de nombreux pêcheurs artisanaux du pays qui se sont retrouvés désavantagés sur le plan économique.

La ZEE de la Mauritanie est la cinquième plus grande cible de la pêche lointaine subventionnée dans le monde. Ce problème touche aussi d’autres pays africains, qui se retrouvent dans une situation défavorable par rapport aux flottes étrangères agressives des grandes nations de pêche, principalement d’Europe et d’Asie, qui ont épuisé les populations de poissons dans leurs eaux et viennent en Afrique remplir leurs filets, souvent en pêchant non seulement dans les ZEE africaines, mais aussi en bordure de ces dernières (dans ce que l’on appelle la « haute mer »). La pêche hauturière à la limite des eaux d’un pays permet aux navires étrangers de capturer des espèces migratrices, comme le thon ou le marlin, avant qu’elles ne pénètrent dans la ZEE, ce qui aggrave la situation du secteur de la pêche dans les pays de la région.

Le Ghana a fait la une des journaux au début de l’année, lorsqu’une étude de l’Environmental Justice Foundation a révélé que près de 75 % des pêcheurs ghanéens déclaraient croiser des chalutiers industriels plus fréquemment qu’il y a cinq ans. La majorité de ces chalutiers étaient contrôlés et financés par des sociétés de pêche lointaine basées en Chine. Les chercheurs de cette fondation estiment que le Ghana perd chaque année entre 14,4 et 23,7 millions de dollars en raison des amendes et des droits de licence de pêche non perçus à cause du manque de transparence des activités des chalutiers chinois dans les eaux ghanéennes.

Plus à l’ouest, 56 navires provenant de seulement 16 lieux différents (la plupart d’entre eux devant effectuer de longues traversées depuis des pays comme la Chine, l’Italie, le Belize, l’Espagne et la Corée du Sud) ont collectivement passé plus de 60 000 heures à pêcherdans la ZEE de Sierra Leone en 2018, d’après l’outil de l’UCSB. Cela correspond à près de sept ans passés sur l’eau, financés par environ 55,9 millions de dollars de subventions néfastes.

Des activités similaires sont observées dans toute l’Afrique, non seulement dans les ZEE, mais également au-delà, en haute mer. En 2018, toujours selon le même outil, 306 navires étaient, par exemple, stationnés juste en dehors des eaux nationales de pays d’Afrique de l’Ouest tels que le Sénégal, le Ghana, le Cap-Vert et la Guinée. Ces flottes étaient soutenues par des subventions néfastes dont le montant est estimé à 219 millions de dollars, et leurs activités empiétaient même parfois sur les ZEE de ces pays.

Mais la solution est à portée de main. Après plus de 20 ans de négociations, les 164 gouvernements membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) n’ont jamais été aussi près de parvenir à un accord contraignant au niveau mondial, qui mettrait fin aux subventions destructrices qui financent la pêche lointaine dans les eaux d’autres pays ainsi qu’en haute mer.

Les ministres du Commerce des membres de l’OMC pourraient signer cet accord lors de la conférence ministérielle prévue à Genève du 30 novembre au 3 décembre. Au cours des semaines précédant la conférence, les dirigeants africains devraient exhorter leurs homologues du monde entier à soutenir la conclusion d’un traité ambitieux interdisant les subventions à la pêche lointaine, qui désavantagent les pêcheurs nationaux face aux flottes étrangères.

Les grandes nations de pêche tentent de diluer les termes de l’accord potentiel afin de pouvoir poursuivre ces activités. Les ministres africains du Commerce devraient donc plaider pour l’interdiction des subventions à la pêche lointaine, afin que les pêcheurs africains puissent profiter de leurs ressources naturelles dans des conditions justes et équitables.

Ernesto Fernández Monge travaille sur le projet de The Pew Charitable Trusts visant à mettre un terme aux subventions à la pêche néfastes. U. Rashid Sumaila est professeur, lauréat du prix Killam et directeur du département de recherche sur l’économie de la pêche, à l’Institut des océans et de la pêche et l’École de politique publique et des affaires mondiales de l’Université de la Colombie-Britannique.

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